Elizabeth Warnock Fernea : Une exploratrice des mondes invisibles

Rédigé le 26/07/2025
BooKech بوكِش


Elizabeth Warnock Fernea a révolutionné le regard occidental sur le monde arabe et musulman, et plus encore, sur la condition des femmes dans ces sociétés, avec curiosité, humilité et une rigueur rare. Née en 1927 dans le Wisconsin, puis élevée au Canada, elle n’était ni anthropologue de formation ni profil académique classique. C’est le cours des vies partagées qui l’a jetée au cœur de l’aventure du terrain.

Tout commence en 1956, lorsqu’elle, fraîchement mariée à l’anthropologue Robert Fernea, l’accompagne pour deux années dans un village reculé du sud de l’Irak. L’expérience est un choc culturel : pour s’intégrer et accéder à la vie des femmes, elle accepte de porter l’abaya et de respecter les coutumes locales, bien loin des stéréotypes alors dominants en Occident. Cette immersion la transforme : loin de la figure de la femme opprimée, elle découvre solidarité, humour, et puissance d’agir dans des formes insoupçonnées. Marquée par la façon dont ces femmes la perçoivent — souvent avec compassion plutôt qu’envie —, elle retiendra que chaque société possède ses propres codes et émancipations, difficilement traduisibles en langage universel.

Son récit, « Guests of the Sheik » (1965), aujourd’hui classique de l’ethnographie, invite à revisiter les idées sur la vie féminine arabo-musulmane. Par la suite, Elizabeth Warnock Fernea n’aura de cesse d’explorer les sociétés du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, de l’Égypte au Maroc, par ses livres, ses documentaires et ses enseignements à l’Université du Texas. Elle privilégiera toujours la voix des femmes elles-mêmes et la complexité de leurs trajectoires.

Son livre « A Street in Marrakech » traduit aussi son attachement à rendre visibles les mondes ordinaires aux yeux des sociétés qui les méconnaissent autant que ceux de l’Occident. À travers chacun de ses ouvrages, elle a non seulement transmis ce qu’elle voyait, mais aussi outillé des générations d’étudiant·es, journalistes, et militant·es pour approcher l’autre avec empathie et méthode.

Elizabeth Warnock Fernea, pionnière des études féminines sur le Moyen-Orient, a aussi incarné une forme de féminisme lucide, refusant d’exporter des modèles mais valorisant les résistances et aspirations nées du contexte islamique. Ellerestera une référence jusqu’à sa mort en 2008, saluée pour son engagement, sa capacité de transmission, et son ouverture d’esprit. Elle a fait du dialogue un outil essentiel contre l’ignorance et la caricature — une démarche plus pertinente que jamais.